SAMIA eL HADJ

Les temps sont flous et nébuleux ? Vous avez le sentiment que votre vie vous échappe ? Vous ne savez plus à quoi vous raccrocher ? Une seule chose est certaine : VOUS ALLEZ MOURIR.
Ne laissez pas la fatalité vous gagner.
Grâce à POMPES FUN EBRES, vivez vos obsèques, comme si vous y étiez ! Faites de vos funérailles le plus beau moment de votre vie.

« En tant qu’auditeurs ou qu’artisans de la radio (…) recherchons une radio élusive et innommable qui crée de nouveaux espaces de pensée et de connexion, là où, un instant auparavant, il n’y avait que silence et passivité ; une radio qui crée de nouvelles manières d’écouter et de réfléchir ; des possibilités renouvelées pour la pensée et la vie. »
Almanach de plaies insensées, Gregory Whitehead

POMPES FUN EBRES est né du désir d’explorer un territoire par ses marges, d’aborder le réel par son envers, de regarder la vie depuis l’autre rive. Que raconte un cimetière de la ville qui le jouxte? Qu’ont à dire nos mort·es sur la vie ? C’est aussi le fruit d’une envie de jouer avec la matérialité même de la transmission radiophonique que Gregory Whitehead décrit souvent exactement comme on pourrait décrire le spiritisme : une tentative d’entrer en contact avec l’autre dont on ne sait jamais si elle opère véritablement.

Iels furent nombreux·ses, celles et ceux qui tentèrent de capter la voix des mort·es1. Thomas Alva Edison consacra les dix dernières années de sa vie à concevoir « une sorte de valve » qui permettrait de les entendre. L’artiste Friedrich Jürgenson pensait que la fréquence 1485kHz était un canal privilégié pour les recevoir. Quant à Konstantin Raudive, disciple de Carl Jung, il utilisait son magnétophone à bande en espérant enregistrer les voix de l’au-delà. Malheureusement, à ce jour, la communauté scientifique n’a accordé qu’une valeur modérée à ces tentatives qui ont paru se heurter aux exigences des protocoles expérimentaux. Qu’à cela ne tienne, en l’absence d’un consensus, j’enregistrerai les mort·es-vivant·es, le mort ou la morte qui git en chacun d’entre nous, les futur·es mort·es : vous et moi.

Le projet que je mène se décompose en deux phases de travail : une collecte de paroles, puis, dans un second temps, une ressaisie des paroles collectées au sein d’une installation dans l’espace public, au cimetière. J’ai amorcé cette recherche à Forcalquier, au cours d’une résidence portée par le festival Numéro Zéro mais j’aimerais la poursuivre dans différents territoires, avec des publics variés. En banlieue parisienne, où une nouvelle résidence est prévue, à Bourges, où j’étais étudiante en post-diplôme à l’ENSA, à Marseille, la ville dans laquelle j’habite, et dont le cimetière m’a inspiré ce projet mais aussi un peu partout en France.

Je recueille la parole de mort·es en devenir, individuellement, petit·es, jeunes, vieux ou vieilles… Nous discutons ensemble de ce qu’ils ou elles souhaitent pour leur mort. J’aborde le sujet par des interrogations assez factuelles et matérielles, restituant le versant banal de l’évènement le plus grave de la vie humaine. Quel cercueil choisiriez-vous ? Comment seriez-vous habillé·e dedans ? Qu’aimeriez-vous entendre dire vos proches ? Qui pleurerait le plus ? Avez-vous peur de mourir ? Seriez-vous d’accord pour mourir maintenant, avec moi, pour de faux ?

Depuis la mort simulée, je tente de maintenir une conversation afin d’enquêter sur la mort. Comment se sent la personne que j’interroge, maintenant qu’elle prétend être morte ? Est-elle angoissée ? Sereine ? A-t’elle froid ? Chaud ? Où est-elle ? Sous terre ? Au-dessus de nous ? Que voit-elle ? A-t’elle un message à nous transmettre depuis l’au-delà ? Même si, à l’heure où je vous écris, mes expériences furent souvent peu concluantes – la plupart de mes cobayes rencontrant le néant, nada, rien, prout – d’autres lévitèrent, hantèrent la maison de leur adolescence, ou même assistèrent à la fin de notre galaxie !

Dans un second temps, j’investi le cimetière des personnes que j’ai rencontrées, celui dans lequel elles ont des proches qu’elles iront peut-être rejoindre, afin d’y proposer un jeu de piste sonore. J’aime les cimetières, parce que je pense que ce sont peut-être les seuls lieux qui parviennent encore à résister à une uniformisation de nos villes. Un cimetière de banlieue parisienne ne ressemble pas du tout à un cimetière dans le Cher, ou à un cimetière provençal. Celui de Forcalquier et ce que l’office du tourisme local appelle pompeusement ses cloitres végétaux, a des allures de labyrinthe. De la même façon qu’il me semble important de prendre conscience que nous devons nous réapproprier les rites funéraires, je pense que nous devons réinvestir ce patrimoine, valoriser nos nécropoles contemporaines comme un espace de vie, d’histoire(s) et de partage.

Entre les tombes, j’installe différents petits émetteurs radio à courte portée. Ces émetteurs autonomes diffusent des bribes des entretiens réalisés lors de la première partie de mon travail. Tous réglés sur la même fréquence, par endroits, ils se parasitent (volontairement) les uns les autres. Je joue avec la transmission du signal radio, interférences, fritures et parasites, le charme désuet de la transmission radiophonique, et en même temps, son essence même : l’éther, le grésillement des ondes.

Pour découvrir la narration, le public doit partir à la recherche des voix, armé d’une radio portative munie d’une antenne et d’un casque. En arpentant le cimetière avec son récepteur, il lui faut traverser des zones de turbulences électromagnétiques pour capter, à la manière d’un·e spirite, comme un·e chercheur·se d’or sur une plage, les voix des mort·es en devenir.

Je prends beaucoup de plaisir à mener et partager ce travail que je trouve précieux, tendre et joyeux. Aborder autrui de front, en lui posant des questions que l’on n’ose souvent même pas adresser à nos proches fabrique souvent des espaces de partage intimes sensibles et drôles. J’ai le sentiment que le dispositif d’écoute permet de partager à nouveau, cette fois-ci avec les personnes du public, et peut-être, entre elles et les personnes qui reposent dans le cimetière, un espace-temps particulier, tissé des fantômes que chacun porte avec soi, d’amour et de bienveillance. Finalement, ce qui est interrogé, c’est la façon dont nous prenons soin les uns des autres, notre rapport à la trace et à la mémoire, et, allons-y carrément, ce que nous imaginons être le sens de la vie. Derrière ses allures de rodomontade ou de plaisanterie, ce travail pose des questions sociales et politiques sur cette question de la mort que nous avons, ces derniers siècles, beaucoup déléguée à la médecine et aux pompes funèbres et que, dans une société moins religieuse qu’auparavant, nous peinons à nous réapproprier.